Wednesday, January 26, 2011

TROIS CHEFS-D'OEUVRE

La semaine dernière, je me suis pris trois chocs artistiques émotionnels, trois traumatismes psychiques, trois uppercuts dans les tripes, trois attaques cardiaques. Un exceptionnel concentré de beauté, d’art, de sensations, d’émotions.
A cause d’un livre et de deux films.
Les coupables : Karine Giebel, Clint Eastwood, Darren Aronofsky.
Commençons par la dame.
Karine Giebel.
Son roman : « Meurtres pour rédemption »


Ecrit, mal publié en 2007, republié par le Fleuve Noir en 2010.
Depuis trois ans, je n’avais rien lu d’aussi prenant. Depuis « La griffe du chien » de Don Winslow, pour être exact. Aussi épais d’ailleurs, près de 800 pages.
Son héroïne, Marianne, est un personnage comme vous n’en verrez pas beaucoup. Aussi fascinante que la Ann X d’Ayerdhal, mais plus voyante, plus présente, plus attachante, faite de chair et de souffrance, de bien et de mal, sous l’emprise d’un destin tracé par une société cynique. L’histoire ? Je ne vous dirai rien, car il ne faut rien dévoiler aux lecteurs qui aiment le suspens. Je ne recopierai même pas la quatrième de couverture. Ceux qui me connaissent savent combien j’accorde de l’importance à l’intrigue. Et là, elle est parfaite. Tout s’emboîte, c’est inattendu, inévitable, impeccable, implacable. Certains grincheux diront que la première partie est trop longue. Comme le temps que l’on passe en prison, aurais-je envie de rétorquer.
Et puis, il y a le style. La cogne de Karine, dans chacune de ses phrases qui vous font chanceler, dans chacune de ses répliques qui claquent avec une vérité incroyable, dans chacun de ses chapitres d’une violence à la limite du soutenable. « Meurtres pour rédemption » est un véritable pavé dans les eaux dormantes du polar français. Et je suis d’autant plus l’aise de mettre ce roman sur un piédestal que je n’ai pas le plaisir de connaître Karine. Donc, pas l’once d’un soupçon de copinage pour orienter cette opinion.

Au tour du senior, maintenant.
Clint Eastwood. Et son "Au-delà".


Le cinéaste ne s’était pas encore attaqué au thriller fantastique. C’est fait. Et c’est bouleversant. A la différence de Kubrick qui filmait l’humanité à la hauteur de Dieu, Eastwood filme à hauteur d’enfant, de femme, d’homme. Jamais je n’ai vu un metteur en scène avec une telle capacité à rendre attachant un personnage dès la première seconde, de saisir son vécu et faire naître l’émotion avec autant de vérité et de délicatesse, sans pathos, sans voix off, sans verbiage, comme au temps du cinéma muet où tout se communiquait par l’image. Troublant vraiment. Le petit jumeau anglais, sorte d’Oliver Twist marqué par une vie difficile, filmé souvent de dos, va de l’avant, tenace dans sa quête. La journaliste française, souvent cadrée de face se prend en pleine figure un tsunami climatique et existentiel. Le voyant américain, souvent filmé de profil, porte sa malédiction sur ses épaule.
« Au-delà » aligne les scènes d’anthologie, celles du tsunami en Asie, de l’attentat dans le métro, de la dégustation culinaire les yeux bandés, de la course à la pharmacie…
Certains plans contiennent plus de sens qu’un film entier. Celui où la maîtresse demande à Marcus d’enlever sa casquette alors qu’il est assis à côté d’une fillette en tchador. Celui où Marcus cherche des réponses sur l’au-delà et obtient en deux clics celles des deux principales religions monothéistes. Celui où Marie déboulonne l’icône Mitterrandienne, ce qui peut expliquer d’ailleurs l’accueil mitigé de certains critiques français.
« Au-delà » va au-delà du discours cinématographique traditionnel ou fantaisiste sur la mort. Il nous touche, nous émeut, nous arrache des larmes et des sourires, nous plonge dans une certaine félicité. Car au bout du compte, c’est une leçon de vie universelle que nous offre Clint Eastwood. La dernière scène, réussie comme dans tous ses films, l’atteste : la mort ne concerne qu’une seule catégorie de gens, celle des vivants. Il ne fallait pas en attendre moins de la part d’un cinéaste immortel.

Troisième choc : « Black Swan » bientôt sur les écrans français (en février). Signé par un cinéaste surdoué capable de s’attaquer à des sujets aussi peu hype que l’explication du monde par 3,14116, la dépendance sous toutes ses formes, la quête méditative millénaire vers la pureté absolue ou la fin pathétique d’un vieux catcheur.


Avec « Black Swan », Aronofsky s’attaque au « Lac des cygnes » et au monde des ballerines pour en faire une sorte de « Carrie au ballet de New York ». Fabrication de la perfection par une mère qui veut voir sa fille devenir la danseuse qu’elle n’a jamais pu être. Quête de la perfection chez une danseuse étoile sous pression incarnée par une actrice parfaite, au sommet de son art : Natalie Portman époustouflante qui ne recule devant rien pour jouer la fracture de son personnage. Cette fusion d’autant d’art (cinéma, danse, musique, jeu d’actrice) est vertigineuse. Comme toujours chez Aronofsky, c’est très noir, très glauque, très intriguant, très déstabilisant, transcendant, radical. La première scène vous clouera au fauteuil, tout comme d’autres que vous n’avez pas l’habitude de voir au cinéma. Pas besoin de 3D ou d’effets spéciaux pour renforcer l’impact. Comme chez Eastwood, la caméra filme les personnages de l’intérieur, tourbillonne et se fracasse avec eux, capte leur souffrance, leur intensité, leur exultation. Le cinéaste nous fait endurer leur parcours, de la même façon que nous avions vécu l’enfer de la drogue dans « Requiem for a dream ». Et c’est exténué et béat que l’on ressort de cette expérience ultime.

Assurément, 2011 commence très fort et la barre a été mise très haute.

Friday, January 14, 2011

VIVA TUNISIA!

Commenter l’actualité à chaud est toujours un exercice périlleux et il vaut toujours mieux avoir du recul pour juger des faits, attendre qu’ils s'inscrivent dans l’Histoire. Je ne peux cependant m’empêcher de commenter à chaud l’insurrection à laquelle nous venons d’assister, juste en face de chez nous, de l’autre côté de la Méditerranée.

Les Tunisiens viennent de donner au monde trois leçons :

- Une leçon aux autres pays arabes qui ne savent pas trouver la voie de la démocratie. Les Tunisiens se sont soulevés contre un dirigeant omnipotent qu’ils n’estimaient plus digne de les représenter. Ils l’ont fait courageusement, dans le sang, la constance et la retenue, sans faire appel à l’ONU ou aux islamistes. Ils ont demandé à Ben Ali de changer, ils n’ont eu que des promesses, ils l’ont poussé vers la sortie.
- Une leçon aux autres pays africains qui ne savent pas changer de régime sans instaurer l’anarchie ou la barbarie. Pendant que les Ivoiriens assistent au combat de deux chefs qui se disputent un pouvoir au soleil malgré les résultats d’une élection démocratique, les Tunisiens décident de leur propre sort.
- Une leçon aux armées de tous les pays. Rachid Ammar, il faut citer au moins une fois le nom du chef d’Etat-major de l’armée de Terre, a refusé de tirer sur la foule et de servir les instincts despotiques d’un monarque sur le déclin. Il s’est fait limoger pour ça. Il est un héros de l’insurrection. La répression et les tueries ne furent ainsi perpétrées que par la police.

Alors, même s’il est trop tôt pour juger, même si le chemin vers la démocratie est toujours long, chaotique, jamais gagné d’avance, j’avais envie de saluer cette leçon de hardiesse et de sagesse administrée par nos amis tunisiens.

Monday, January 03, 2011

LES CRITIQUES DE L'ANNEE

2010 à peine écoulée, déboule l’heure des bilans et des Top 10, des classements et points de vue en tous genres. On vient même de sonder les peuples de la planète pour savoir comment ils voyaient 2011. En tête des plus pessimistes arrive la France. Parmi les plus optimistes, le Viet Nam est premier suivi à quelques rangs près par l’Afghanistan et l’Irak. Un signe qui va à contre-courant de la pensée unique. A l’ère de talibans et de Saddam Hussein, je ne crois pas qu’on aurait eu le même résultat. Le monde ne va peut-être pas à vau-l’eau. Contrairement à la rengaine assenée par les médias et les JT qui nous lobotomisent et déclinent la crise à toutes les news, contrairement aux propos des politiciens qui veulent être calife à la place du calife, le monde (dont la France) n’est peut-être pas au bord du gouffre. Mais la rengaine a eu raison du moral d’une nation hypocondriaque qui, attention à la lapalissade, si elle se regardait moins le nombril, verrait l’avenir d’un autre œil. Je conseille aux Français la méthode Tyler Durden décrite dans « Fight Club ».
Heure des bilans donc.
2010 aura été marquée par des films comme « Esther », « Salt », « The Town » et « Inception » d’abord parce que ce sont des films bien écrits. Par des albums comme celui de Hans Zimmer (BO de « Inception »), de Eminem (« Recovery ») ou de Arcade Fire (« The Suburbs ») que l’on peut écouter en boucle. Par deux artistes aussi: Leonardo Di Caprio dont le nom est devenu une norme de qualité (« Shutter Island » et « Inception » en 2010) et Angelina Jolie dont l’aura dépasse largement le cadre du plateau de cinéma. 2010 aura également été marquée par « Tokyo Zodiac Murders » de Soji Shimada, un roman que je n’aurais pas pu écrire. Ma liste des livres est courte, car en dehors de « TZM », je n’ai pas trouvé (mais je n’ai pas tout lu non plus) un seul roman qui par sa qualité, son originalité et sa force, fasse me poser une seule fois la question que certains écrivaillons devraient de se poser un peu plus souvent: « mais pourquoi continuerais-je à écrire alors que d’autres le font beaucoup mieux que moi ? ».
C’est alors que je me prends à rêver en ce début d’année d’un monde du polar à l’abri de la déferlante des polars scandinaves exploitant le filon Millenium, de la vague des polars américains conçus par d’ex financiers reconvertis en écrivains après un stage d’écriture, du raz-de-marée de polars français dépressifs jouant des coudes dans la surenchère du sordide, du tsunami de polars de ménagères écrits dans un bureau cossu d’une villa huppée pendant que les gosses sont à l’école, de la lame-de-fond de polars de journalistes écrits dans un renvoi d’ascenseur, des éditeurs publiant n’importe quoi et n’importe comment des manuscrits écrits à dix mains ou à deux pieds, des foires aux livres traitant les auteurs comme du bétail, des libraires vendant du packaging et de la marque, des journalistes ne commentant que ce qui a déjà été commenté, des lecteurs grégaires et peu curieux… Un monde du polar que certains auteurs comme Guillaume Lebeau ou Franck Thilliez essaient de sauver par leurs initiatives, leurs discours et leurs écrits, mais qui est quotidiennement sabordé par la grosse industrie éditoriale. Bientôt viendra l’ère où la Chine s’emparera de ce business pour plagier elle-même et produire de façon plus rentable toute la copie pissée par nos besogneux de l’écriture.
C’est pourquoi dans ce bilan de 2010, je tiens à saluer des résistants à l’occupation du néant culturel. Cette fois donc, juste retour des choses, je ne classerai pas les œuvres ou les artistes de l’année, mais les critiques ! Des incorruptibles de l'analyse, des journalistes qui lisent avant les autres, des découvreurs de talents, des exégètes qui savent écrire sur des livres sans reprendre la quatrième de couverture, des prescripteurs indispensables aux écrivains non merchandisés par l’édition. Voici donc mon podium des critiques de 2010:

Loïc Di Stefano, rédacteur du site littéraire
  • BOOJUM


  • Holden, rédacteur du site littéraire
  • UNWALKERS


  • Stéphanie Gasiglia-Laurenti, journaliste à Nice-Matin.

    C’est à eux que je dédie ce premier post de l’année.