Tuesday, July 06, 2010

FINS DE SAISON

Avant je ne regardais pas de série et ne jurais que par le cinéma. La vie dans un hôpital, dans un appartement ou dans un commissariat ne m’attiraient pas plus que les analyses d’experts, la médecine légiste ou les émois d’acteurs de sitcoms. Des intrigues à deux balles mal filmées, des scripts photocopiés, des personnages stéréotypés, des répliques Carambar, rien de tout cela ne me faisait zapper un bouquin ou un film, même médiocres. J’évoquerai encore moins les séries françaises, exclusivement destinées aux ados demeurés et aux retraités séniles.

Mais depuis quelques années, les choses ont changé à Hollywood. Les scénaristes ont pris le pouvoir et sont devenus producteurs exécutifs. A la télé, ils sont aujourd’hui les grands manitous. Ils se nomment Joel Surnow, Robert Cochran, J.J. Abrams, Shawn Ryan, David Goyer, Brannon Braga, Samuel Baum, Rand Ravich, Marc Cherry… Je ne parle toujours pas du paysage audiovisuel français où la production est encore squattée par des has beens qui ont le regard rivé sur l’audimat de Joséphine Ange Gardien et Louis la Brocante. J’ai rencontré quelques-uns de ces producteurs parisiens, et j’ai compris pourquoi la France avait quarante ans de retard sur les Américains. Si vous voulez des noms pour éviter de perdre votre temps avec ces ersatz de professionnels, je peux vous communiquer des noms. Bref, à l’exception de Canal Plus qui fait dans le tonitruant pour masquer un manque d’imagination flagrant, le PAF ressemble à l’arrière cours d’un sanatorium.

Tout a commencé pour moi avec 24H. J’étais en voyage, coincé dans une chambre d’hôtel avec un lecteur de DVD et la saison 1. J’ai vu le pilote, je n’ai jamais décroché depuis, m’avalant avec une boulimie frénétique les 192 épisodes. J’étais devenu complètement addict. Pourquoi 24H ?

D’abord l’art du suspense y est élevé à un niveau jamais atteint à la télévision. Pour définir le suspense, Hitchcock avait pris en exemple une bombe placée sous une table autour de laquelle se déroule une discussion et une horloge dans le décor égrenant un compte à rebours. Joel Surnow et Robert Cochran ont eu l’idée de placer la bombe sous le bureau ovale de la Maison Blanche, de transformer l’horloge en un chronomètre digital qui rythme l’action en temps réel, et de créer Jack Bauer pour tenter d’empêcher que tout explose. Boosté aux cliffhangers, le suspense de 24H laisse systématiquement le spectateur suspendu à chaque image.

Incarné par Kiefer Sutherland qui semble être né pour ce rôle, Jack Bauer est un héros d’une cohérence absolue, révélateur d’un monde chaotique, samouraï moderne d’une fidélité indéfectible au président, mettant tout en œuvre pour parvenir à ses fins. Pour Bauer, la torture est acceptable si cela doit sauver des vies ainsi que le sacrifice d’une personne si cela permet d’en sauver mille. Le génie des scénaristes est d’avoir rendu attachant ce personnage intransigeant, sans retirer au téléspectateur la possibilité de ne pas être d’accord avec ses choix. Tout en posant cette question récurrente : jusqu’où est-il possible d’aller pour sauver les USA et donc le monde ?

Les autres protagonistes dont beaucoup ne survivront pas aux huit saisons sombrent rarement dans le manichéisme. Souvent surprenants, jamais stéréotypés, ils se révèlent en bien ou en mal, à travers leurs qualités et leurs défauts, leur traitrise ou leur rachat. On ne sait jamais si ils sont fiables, comme dans la vie. Cela contribue au suspense, aux retournements de situations et à la crédibilité.

Quant à la mise en scène, c’est du jamais vu sur petit écran. Au-delà du split screen qui juxtapose les actions, au-delà des rebondissements qui relancent le récit toutes les dix minutes, au-delà du temps réel chronométré qui ajoute à la pression, on assiste à des scènes que le cinéma n’avait jamais osé nous servir: le héros y tue de sang froid et non par accident, il torture pour obtenir un renseignement, il kidnappe un ancien président, et il pleure même à la fin d’une saison.

24H est une école d’écriture. Et même plus que ça. Ancrée dans la géopolique contemporaine, la série inspire les soldats en Irak, intéresse l’Académie de West Point, entre dans les cours de droit de l’université de Georgetown et sert de cas de jurisprudence à un juge la Cour Suprême des Etats-Unis. La série a anticipé l’élection d’Obama, ainsi que les fléaux du terrorisme, de la technologie, des Sociétés Militaires Privées et de l’action politique de dirigeants corrompus ou démagogiques, à tel point que l’on se demande parfois si 24H n’est pas une entreprise de fiction créatrice de réalité.

Une chose est sûre, Jack va nous manquer.



D’autres séries m’auront résolument réconcilié avec la télé: LOST, FLASHFORWARD et FRINGE.

Comme pour 24H , ce fut la dernière saison pour LOST qui s’est terminée en beauté, contrairement à l'opinion d'une majorité de téléspectateurs. Le dénouement, malin et inévitable, m’a donné envie de revoir la série… sous un autre angle.

Fin également pour FLASHFORWARD qui malheureusement n’ira pas au-delà de la première saison pour cause d’audimat. La qualité et l’ambition ne sont pas toujours récompensés. Dommage, la série la plus alléchante de tous les temps n’a pas été plébiscitée par les mangeurs de pop corns.

Heureusement, FRINGE n’en a pas terminé avec nos nerfs. La deuxième saison s’est achevée sur un terrible cliffhanger qui rend urgent le tournage de la troisième saison.

Grâce aux scénaristes américains, d’autres séries de qualité (LIE TO ME, LIFE…) continueront de nous tenir en haleine.